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mercredi 27 mars 2013

De l'héroïsme dans les jeux de rôles

J'ai noté récemment que beaucoup de gens assimilent les personnages héroïques aux personnages ultra-compétents. Et par le même raisonnement on en a déduit que les jeux héroïques et épiques étaient ceux qui proposaient de jouer des personnages hors-du-commun. 

Un jeu comme l'Appel de Cthulhu démontre pourtant l'inverse depuis des décennies.

J'ai entendu (et lu) beaucoup de gens qui s'interrogent sur le succès continu de ce jeu. Après tout, dans ce jeu "ton personnage soit il devient fou, soit il meurt".

Mais voilà, face à ce choix, le personnage (et le joueur) ne renonce pas et choisit tout de même de se battre alors même qu'il se sait condamné.

Difficile à mon sens de faire plus héroïque que cela. Et c'est à mon avis une des raisons qui explique la pérennité de ce jeu dans le paysage ludique (bien plus que son aspect "horrifique" à mon avis).  Et l'Appel de Cthulhu montre en plus que des personnages fragiles et humains ne sont pas incompatibles avec des enjeux très importants. Plus récemment, un jeu comme Dungeon Crawl Classics a également joué sur ce tableau (même si là les personnages ont la possibilité de devenir plus puissants).

"Salut, je me présente : Leonidas, investigateur"

Pour résumer, l'aspect héroïque ou épique d'un jeu est plus lié à l'importance des enjeux qu'il propose. La puissance des personnages est toute secondaire. 

De l'héroïsme des joueurs et de leurs personnages

Quel joueur est le plus "héroïque" ? Celui qui envoie son guerrier en première ligne pour sauver ses amis alors qu'il n'a plus que 8 points de vie ? Ou celui qui se lance à l'assaut du dirigeable du Dr Frankenevil alors que le système garanti que son personnage ne peut pas mourir ?

L'engagement du joueur ne sera a priori pas le même dans les deux, dans le premier cas on aura un joueur très engagé vis de son personnage, de l'autre un joueur très engagé vis à vis de l'histoire. Le premier va essayer de maintenir son personnage en vie, le second va essayer de conserver le caractère héroïque de la partie.

N'oubliez pas que si vos joueurs deviennent pusillanimes parce "Hé mais on est juste des niveaux 1 avec quatre points de vie", le problème, au fond, ne vient pas des règles...


Avant de vous lancer dans une campagne ou un scénario héroïque essayez de garder ça à l'esprit : vous voulez tester vos joueurs ou leurs personnages ?

Et assurez-vous bien que tout le monde soit sur la même longueur d'ondes !

lundi 18 mars 2013

Discutons & Digressons

L'Ours a soudain envie de faire un post vaguement théorique. D'une part ça lui évite de bosser sur ses jeux et de deux ça lui rappelle qu'il doit  faire vivre son blog un minimum.

Comme toute réflexion/divagation ce qui va suivre est surtout un "instantané" d'une pensée en cours. Certainement pas quelque chose de figé et de dogmatique sur lequel je ne reviendrais pas. Je m'accorde le droit de me tromper et de me mettre le doigt dans l’œil.

J'ai revu il y a peu le documentaire All Watched Over by Machines of Loving Grace (réalisé par un des meilleurs documentaristes actuel : Adam Curtis).

Le deuxième volet de ce documentaire s'attarde sur la fable de l'écosystème : en gros comment est née l'idée que la nature est une machine qui fonctionne parfaitement tant que l'être humain ne s'en mêle pas. Le documentaire montre comment est née cette idée et comment il s'est révélé petit à petit qu'elle était fausse (que l'on soit d'accord ou pas là-dessus n'est pas le sujet de ce billet, ne vous dispersez pas).

En le revoyant récemment cela m'a rappelé comment une idée a commencé à faire son chemin chez les créateurs de JDR.

L'idée selon laquelle un système de jeu (compris comme l'ensemble des procédures qui régule le jeu autour de la table) doit-être écrit de manière à permettre au lecteur de reproduire un type spécifique de partie, une expérience de jeu précise.

C'est une idée qui me semble fausse et surtout nuisible.


Fausse
Parce que le raisonnement est faussé dés le départ, une partie de jdr ce n'est pas ça :

ou ça


C'est plus souvent ça :


Une table de jeu de rôle, c'est le chaos : la bière, la fatigue, la vie des uns, les retards des autres, la mauvaise humeur ou l'inspiration du moment... Croire un seul instant que la moindre partie de jeu de rôle suit un schéma précis, jusque dans ses procédures, témoigne selon moi du désir maladif de contrôler ce qui se passe autour de la table. J'avais déjà cité Zak S. de D&D with Pornstars sur le sujet :
The Newies tend to be obsessed with creating rulesets that will result in Exactly The Right Buttons Getting Pushed for anybody who buys it, no matter how dumb they are
Toutes les procédures que décrit Vincent Baker dans sa série d'articles ne se cantonne pas à un type de résolution précis, il m'est déjà arrivé de voir un mélange de toutes ces techniques au cours de la même partie, pour cause d'oubli des règles, de situation inattendue ou d'inspiration soudaine.

Même (surtout !) pour des besoins théoriques on ne peut pas simplifier les choses au point d'ignorer tout ce qui ne nous arrange pas autour d'une table de JDR.

Quand on veut étudier comment fonctionne une table de JDR on évite de la voir comme une machine (et je vous renvoi à l'excellent documentaire ci-dessus).

Nuisible
Cela limite sérieusement les possibilités et cela créé l'idée selon laquelle il y a maintenant une « bonne manière » de jouer. Un exemple assez probant qu'on trouve sur les forums (français et américains) ces derniers temps :

Exemple 1
Forumiste 1 : « J'ai joué à D&D et je n'ai pas aimé »
Forumiste 2 : « Ah, ok pas de problèmes, chacun ses goûts hein ! »

Exemple 2
Forumiste 1 : «  J'ai joué à Apocalypse World et je n'ai pas aimé »
Forumiste 2 : « Vous y avez mal joué »
Forumiste 3 : « Vous n'avez pas compris le jeu »

Sans rire, faites l'essai, ça fonctionne 99,9% du temps.

Si avec D&D je n'avais pu faire que de l'exploration de Donjons en gérant dans la joie mon stock de torches et de rations j'aurais arrêté le jeu de rôle au bout de six mois. Je n'ai pas joué au jeu de de la même manière que Gygax ou Arneson, je me le suis approprié et j'en ai fait ce que je voulais.

J'aimerais qu'une partie de la production JDR me laisse cette liberté plutôt que m'imposer une « expérience de jeu optimale ».

Vous ne me connaissez pas, vous ne connaissez pas mes joueurs. Donnez moi juste des outils, pour ce qui est de m'amuser, je me débrouillerais sans vous, merci.